Bilan du Colloque « Ensemble, protéger la biodiversité marine : connaître pour agir »

Le jeudi 12 mars 2020, l’Ifremer et l’OFB ont organisé une journée d’échanges et de réflexion destinée aux élus, décideurs, représentants des institutions nationales et européennes, de la communauté scientifique, des associations, fondations et ONG, comme aux gestionnaires d’espaces naturels et à tous les acteurs du monde économique maritime.

Dans la perspective des grands rendez-vous internationaux de l’année 2020 consacrés à la biodiversité – Congrès mondial de la Nature, Cop 15 de la Convention pour la Diversité Biologique, traité international sur la biodiversité en haute mer (BBNJ) notamment, – et de la Décennie des Nations unies pour les sciences de l’Océan, l’objectif de cette journée était d’identifier les enjeux prioritaires de recherche pour la préservation de l’océan et la gestion durable de l’usage de ses ressources.

Au programme de cette journée, trois tables rondes :

  • La biodiversité marine, état des lieux, des connaissances et enjeux de recherche ;
  • L'océan profond, bio- et géo-ressources ;
  • La pêche, enjeux de recherche et de partage des connaissances.

Pour préparer cette journée, des ateliers ont été organisés. Les représentants des parties prenantes ont exprimé leurs besoins, les scientifiques ont proposé des pistes de réponse.

 

Trois groupes de propositions ressortent de cette journée d’échanges :

  1. Améliorer les dispositifs d’observation, en cohérence avec une recherche plus intégrée
  2. « Armer par la recherche l’expertise scientifique » en appui aux politiques publiques
  3. Renforcer le lien entre recherche marine et société

1. Améliorer les dispositifs d’observation, en cohérence avec une recherche plus intégrée

La mise en œuvre des Objectifs de Développement Durable (ODD) se traduit, en matière de recherche :

  • Par une plus grande interdisciplinarité, notamment en associant les sciences humaines et sociales dès la conception des projets ;
  • Par une plus grande intégration des recherches aux interfaces Terre – Mer – Atmosphère ;
  • Par une meilleure prise en compte des interactions entre Climat et Biodiversité.

À l’instar du climat, la Biodiversité appelle à se doter d’indicateurs de biodiversité simples, intégrateurs, cohérents entre les différents instruments de gouvernance (Directive-cadre Stratégie pour le milieu marin – DCSMM, Directive-cadre sur l’eau – DCE, Conventions des mers régionales, Politique commune de la pêche – PCP, Objectifs de développement durable – ODD, etc.), incluant des seuils de référence, et révélateurs :

  • De l’état de la biodiversité et de ses tendances ;
  • Des risques auxquels elle est exposée, des pressions qu’elle subit et de ses capacités de résilience ;
  • De la qualité et du maintien des services écosystémiques qu’elle procure ;
  • Du retour sur investissement des dispositifs et mesures de protection, tant d’un point de vue qualitatif qu’en termes de bénéfices sociaux et économiques.

2. « Armer par la recherche l’expertise scientifique » en appui aux politiques publiques

Pour que la recherche puisse remplir au mieux sa mission d’expertise scientifique en appui à la décision publique, il convient de :

  • Conforter la coopération entre les organismes publics de recherche ;
  • Renforcer leur collaboration avec les établissements en charge d’élaborer et mettre en œuvre des politiques publiques, dans l’esprit du colloque organisé avec l’OFB.

Cela passe notamment par la production de :

  • Synthèses des résultats de la recherche, notamment en ce qui concerne l’océan profond et les écosystèmes ultramarins, afin d’éclairer, en amont, la prise de décision,
  • De scénarios et modèles pour développer la prévision et l’évaluation ex-ante et ex-post des politiques publiques mises en œuvre.

Pour cela, il convient de :

  • Mettre en place des observatoires pérennes et organiser la gestion de données standardisées  accessibles selon les principes FAIR (‘‘Findable, Accessible, Interoperable, Reusable’’) qui visent à rendre les données découvrables, accessibles, interopérables et réutilisables ;
  • Mobiliser, voire développer, des méthodes innovantes d’acquisition de données biologiques (ADN environnemental, ‘‘animal tracking’’, etc.), en complément de données physiques et biogéochimiques, plus nombreuses sans pour autant être encore suffisantes ;
  • Améliorer et développer des modèles et scénarios combinant les différents moteurs de changement :
    • Intégrer le rôle fonctionnel de la biodiversité – fonctions et services écosystémiques – pour une meilleure compréhension de la résilience des écosystèmes et afin d’améliorer la connaissance des ressources (état de santé, qualité, quantité …)  et de leurs usages ;
    • Appréhender la diversité des échelles de travail : articuler plus étroitement entre elles les observations réalisées aux niveaux global, régional et local, notamment en vue d’évaluer et de renforcer la connectivité des réseaux d’aires protégées pour améliorer leur efficacité ;
    • Développer des méthodes et des outils permettant d’intégrer des données acquises dans divers champs disciplinaires, couplant dynamiques « naturelles » et socio-économiques afin d’améliorer la qualité prédictive des projections ;
  • Renforcer les moyens dédiés à l’acquisition de connaissances relatives à l’outremer et aux pays en développement ainsi qu’aux grands fonds (dans les Zones économiques exclusives et en haute mer).

Il convient aussi de produire les résultats de recherche nécessaires à :

  • La planification spatiale des usages de l’espace maritime ; en ce qui concerne les zones à préserver, établir leur emprise, assurer leur connectivité et évaluer les possibles adaptations de leur conception en fonction des changements (écosystèmes et usages) ;
  • L’évaluation et l’amélioration de l’efficacité des stratégies de diminution des pressions anthropiques ;
  • L’adaptation au changement climatique, en s’appuyant notamment sur :
    • les solutions fondées sur la nature, en particulier la restauration de milieux tels que les mangroves ;
    • l’amélioration des connaissances des mécanismes de fonctionnement des services support rendus par la biodiversité pour mieux s’en inspirer ;
  • L’évaluation des solutions de génie et/ou d’ingénierie écologique ;
  • La définition de solutions permettant de concilier les aménagements pour la production d’énergies marines renouvelables et la protection de la biodiversité marine ;
  • La modernisation, le développement, le pilotage et l’évaluation des instruments financiers en vue de préserver la biodiversité marine et d’assurer une gestion durable de ses usages à travers notamment les paiements pour services écosystémiques, la compensation, ou le déploiement de la « finance verte ».

3. Renforcer le lien entre recherche marine et société

Lors de ce colloque, toutes les parties prenantes ont exprimé le besoin de voir plus de moyens accordés à la recherche, pour acquérir plus de connaissances afin d’éclairer la décision publique, y compris sur des sujets soumis à débats.

C’est une marque de confiance. Mais pour la mériter dans la durée, cela implique pour les organismes de recherche tels que l’Ifremer, une évolution de pratiques et de gouvernance telles que celles exprimées dans le projet d’Institut « Horizon 2030 » (1er chapitre, « Un acteur en prise avec la société ») :

  • L’organisation de rencontres telles que ce colloque,
  • La science ouverte,
  • Le développement des sciences participatives,
  • La création d’un comité des parties prenantes.

D’autres propositions ont éclos à la faveur de ce colloque et des ateliers préparatoires :

  • Associer la société civile aux orientations de la recherche publique, notamment par la participation de ses représentants aux conseils d’administration ou à d’autres instances stratégiques des organismes publics de recherche ;
  • Porter systématiquement à connaissance les questions posées au Comité consultatif commun d’éthique Inrae – Cirad – Ifremer – IRD (C3E4) et diffuser largement les avis formulés ; donner la possibilité à la société civile d’interroger ce Comité consultatif commun d’éthique ;
  • Valoriser les résultats de la recherche en appui à l’expertise scientifique destinée aux politiques publiques ;
  • Améliorer le transfert des connaissances, co-construire des projets de recherche inter- et transdisciplinaires : modifier les comportements et le regard porté sur l’océan et ses richesses nécessite d’appréhender, comprendre et s’approprier les enjeux d’effondrement de la biodiversité, de dérèglement du climat – tels que décrits par les résultats et scénarios de l’IPBES et du GIEC – mais aussi de mesurer les services rendus par les écosystèmes en bonne santé à l’aune des enjeux socio-économiques, sociologiques et culturels.